4 mai 2025

Aven Fourchu : est-ce que Satan l'habite ?

Participants : Daniel, Francis, Jérôme, Sacha, Yannick
TPST : 7h

L'aven Fourchu fait partie des grands classiques spéléologiques des Alpes-Maritimes avec ses kilomètres de développement dont la plus grande partie se trouve derrière des siphons à plonger. Explorés dans les années 80, le réseau amont et la rivière noire sont accessibles non pas aux premiers blaireaux venus, mais très certainement à la fine équipe du Groupe Spéléologique Viticole. C'est pourquoi le Président nous y a convié ce dimanche 4 mai. La météo est incertaine : des nuages bas nous accueillent sur la route du col de l'Ècre où le rendez-vous était fixé à 9h30.

Le trou n'étant situé qu'à cinq minutes à pied au fond du vallon de Pierrefeu, nous avons à peine le temps de nous faire humecter la nuque par quelques goutelettes éparses. En cette période tempérée de l'année, la cavité a tendance à aspirer l'air du dehors, ce qui nous évite l'effet "climatiseur poussé à fond" qui la caractérise lorsqu'on l'approche en plein été par trente-cinq degrés à l'ombre. 

Nous y pénétrons vers dix heures, Daniel étant parti devant pour équiper. Nos amis Sacha et Yannick n'étant toujours pas devenus des aficionados du fractionnement de corde, ils apprécient les trois puits directs descendant à la cote moins 50. 



La désescalade de l'étroit ressaut équipé de barreaux métalliques nous permet d'observer que, petit un, nos ancêtres spéléos avaient des jambes démesurées, et que, petit deux, Yannick l'a effectuée sans pratiquement rentrer le ventre, ce qui témoigne de l'efficacité du programme diététique "Commejaime" (marque déposée). 

Francis, lui, piaffe d'impatience à l'idée d'utiliser son fameux bloqueur de pied chinois dont il nous rebat les oreilles depuis la dernière sortie. Comme il a pris soin de ne pas l'oublier dans sa voiture, nous espérons tous avoir son ressenti sur l'utilisation de ce clone de Pantin Petzl  à trois francs six sous. Le jeune Sacha, toujours passionné par les noms bizarres dont ont été affublées les cavités de notre belle région, interroge Daniel sur l'origine de l'appellation "Fourchu". Nous nous attendons à une explication bien sophistiquée dont il a le secret. Effectivement, ce n'est pas la présence supposée d'une créature cornue et solidement membrée dans ses tréfonds qui lui a valu ce nom, mais plus prosaïquement les températures élevées que l'on y rencontre. Je ne peux m'empêcher de sourire à cette évocation tiédasse des feux de l'enfer caractéristique du fonctionnement cérébral des spéléos de la génération du Président (qui a dit "ils étaient déjà complètement séniles" ?).


Arrivés au bas des puits nous attaquons la progression vers la rivière noire qui doit son nom au calcaire dentelé et tâché de manganèse dans lequel l'eau a creusé un passage. Yannick et Sacha ont hâte d'y tremper leurs demi-bottes Décathlon flambant neuves. Mais il leur faudra pour cela se manger plusieurs dizaines de mètres de passages surbaissés et boueux façon montagnes russes avant d'ouïr le chuchotement de l'onde taquine. 




Lorsque nous arrivons au "lac", une cuvette qui garde l'accès à la suite du réseau, nous constatons que les dernières pluies ont bien rempli ladite cuvette, ce qui signifie une traversée "bottes pleines" et "roubignolles trempées" qui fait grimacer le Président. Devant l'enthousiasme général de la foule, ce dernier décrète le demi-tour et reporte l'accès à la rivière noire aux calendes grecques, d'autant que midi sonne à sa montre-gousset. Nous ne nous attarderons pas, cher lecteur, sur l'incontournable bouteille de rouge, les amuse-bouche, la charcuterie et le rhum arrangé à la violette dont nous n'abusons pas afin de garder l'esprit clair pour la suite de l'aventure.




Faute d'avoir pu accéder au sec à la suite vers la rivière noire, Daniel nous propose d'aller admirer dans les galeries supérieures la célèbre statue du Fourchu grandeur nature sculptée dans la glaise par des générations de spéléologues déviants (comme l'eau). Il nous promet un petit quart d'heure de progression, ce qui enchante le jeune Sacha, impatient de découvrir les organes reproducteurs de Satan fidèlement façonnés par nos Grands Anciens.

Le Président part devant, suivi de Francis, Yannick et Sacha. Je ferme la marche en priant pour que Dada, cavalant comme à son habitude, ne nous oublie pas dans le dédale des galeries. Les seuls que j'ai en visuel sont le père et le fils amateurs de statuaire priapique, et ce que je craignais arrive : à la bifurcation suivante, je les retrouve immobiles et perplexes. Le Président et son poisson-pilote Francis se sont volatilisés. J'avance dans les deux directions en braillant comme un âne. Bien entendu personne ne répond. Comme il ne faut pas compter sur votre serviteur pour avoir la moindre idée de la topographie de cette cavité, je nous décrète irrémédiablement perdus. Pour éviter à mes deux camarades un crapahut aléatoire qui entamerait leurs forces (nécessaires à la remontée), je décide de retourner à l'endroit où nous avons laissé les kits, point de passage obligé pour les deux fugitifs. Je suis un peu chafouin car le jeune Sacha n'a pu voir si le Fourchu, Satan l'habite. Les deux clampins débarquent au bout de quelques minutes et se font copieusement engueuler, surtout le Président qui, malgré son grand âge, n'a pas perdu cette sale manie d'avancer au pas de charge sans se retourner pour voir si tout le monde suit. 

Cette mise au point faite, nous retournons vers les puits. Je passe le premier pour surveiller, et éventuellement assister, la sortie des verticales. Curieusement, c'est Sacha qui tire la langue (sûrement un double effet de la fatigue et de la frustration de n'avoir pas vu le diable) alors que son père avale sans soucis la remontée aidé, il est vrai, par mon bloqueur de pied que je lui avais aimablement passé. A propos de bloqueur de pied, j'interroge Francis sur son impression au sujet de ce merveilleux engin : penaud, il m'avoue qu'il n'a pas su régler les lanières de son modèle chinois de compétition pour pouvoir l'enfiler. Magnanimes, nous évitons d'éclater de rire et passons la tête hors du trou vers 17h sous une pluie battante. Cela faisait longtemps que Daniel et moi ne nous étions pas aussi abondamment fait rincer la figure à la sortie d'une cavité. Le déluge ne parvient même pas à enlever la boue dont nous sommes couverts. Tout juste s'il la rend suffisamment liquide pour que nous en pourrissions l'intérieur des voitures au moment de nous changer. 

Au final, l'eau a perturbé par deux fois cette expédition, une fois au lac et une fois dehors, ce qui a conforté le Président dans sa méfiance viscérale vis-à-vis de cet élément démoniaque. Paraphrasant Bourvil il conclut ainsi la sortie: "l'alcool oui, l'eau ferrugineuse non !".


Jérôme
(avec les photos de Yannick)